Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 5.djvu/283

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
277
DE GUSTAVE FLAUBERT.

me semble que le roman ne se tient plus sur les pieds. Je veux dire que les événements ne dérivent plus du caractère des personnages ou que ces mêmes caractères ne les produisent pas. Car c’est l’un ou l’autre (et même l’un et l’autre) dans la réalité. Les faits agissent sur nous et nous les causons. Ainsi, à quoi sert la révolution de Sicile ? Déborah n’avait pas besoin de cela pour s’en aller, et Pipinna pour mourir. Pourquoi ne pas leur avoir trouvé une fin en rapport naturel avec tous leurs antécédents ? Cela est de la fantaisie et donne à une œuvre sérieusement commencée des apparences légères. Le roman, selon moi, doit être scientifique, c’est-à-dire rester dans les généralités probables. Voilà mon plus gros reproche et même le seul qui soit grave.

J’ai été ravi tout d’abord par le portrait de Pipinna et l’intérieur de sa famille. Si tout était de ce calibre-là, le livre serait un chef-d’œuvre. Stella, le père, la maman, tout cela est parfaitement fait. Certaines pages exhalent un parfum du midi qui vous pénètre ; on s’écrie : C’est ça.

J’aime beaucoup Déborah. Sa description de l’enfant mort est un bijou. Mais ce qui domine tout le livre, c’est la promenade en canot (pages 76 et suivantes). Quand on a écrit ces pages-là, on est capable de tout écrire. Pas un écrivain qui ne puisse s’en honorer.

Le parallélisme entre les deux femmes marche naturellement, tout est bien engagé ; mais, après la soirée où Déborah chante, commence (pour moi) le revers de la médaille. J’ai compris jusque-là et admiré ce caractère, mais il devient trop voulu de la part de l’auteur. Je la trouve un peu trop