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CORRESPONDANCE

actrice et poseuse ; les femmes perdues sont plus naïves. Quel intérêt a-t-elle à faire le monstre ? Il me semble que la vérité (probable) et la moralité du livre y auraient gagné, si elle eût fini par aimer Herman, juste au moment où celui-ci s’en fût dégoûté ! Du reste, elle a de beaux mouvements d’éloquence. Mais on se demande : est-ce vrai ? Tandis que l’on croit, comme si on les avait reçues soi-même, aux hyperboles orientales de Pipinna, parce qu’elle est humaine. Je crois, enfin, qu’à un certain moment l’auteur a voulu montrer son esprit et a perdu de vue ses personnages, si bien plantés tout d’abord. Cela commençait comme un grand roman, puis a tourné à la nouvelle.

Je blâme le rêve (page 42) comme poncif. L’auteur ne s’aperçoit pas non plus parfois qu’il gâte ce qu’il vient de faire. Ainsi (page 23), entre deux paragraphes excellents, il intercale une naïveté qui détruit son effet : « Comme pour obéir à la grande loi du contraste. »

Puisque vous me montrez le contraste, vous n’avez pas besoin de me le dire. Il y a (rarement il est vrai) des métaphores fausses, mais il y en a ; ainsi dans Un purgatoire en sol dièze, qui est un petit conte du meilleur goût : « je fus frappé de l’extrême douceur ». Une douceur ne frappe pas. Ah ! je suis un pédant ! je sais bien. Mais quand on a de jolies mains, on doit les soigner. Or M. de Maricourt a non seulement une main d’artiste très bien faite et exercée, mais il a le biceps saillant, ce qui vaut mieux. Son livre a des parties énergiques et viriles. On y sent ce qui est la première des choses : une individualité. J’aurais encore