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CORRESPONDANCE

tine devenue mystique, l’existence n’étant plus qu’une sorte de rêve sanglant, voilà ce qui devait se passer dans des têtes pareilles. Je trouve que vous avez une scène à la Shakespeare : celle du délégué à la Convention avec ses deux secrétaires est d’une force inouïe. C’est à faire crier ! Il y en a une aussi qui m’avait fortement frappé à la première lecture : la scène où Saint-Gueltas et Henri ont chacun des pistolets dans leurs poches, et bien d’autres. Quelle splendide page (j’ouvre au hasard) que la page 161 !

Dans la pièce, ne faudrait-il pas donner un rôle plus long à la femme légitime de ce bon Saint-Gueltas ? Le drame ne doit pas être difficile à tailler. Il s’agit seulement de le condenser et de le raccourcir. Si on vous laisse jouer, je vous réponds d’un succès effrayant. Mais la censure ?

Enfin, vous avez fait un maître livre, allez ! et qui est très amusant. Ma mère prétend que ça lui rappelle des histoires qu’elle a entendues étant enfant. À propos de Vendée, saviez-vous que son grand-père paternel a été, après M. de Lescure, le chef de l’armée vendéenne ? Ledit chef s’appelait M. Fleuriot d’Argentan. Je n’en suis pas plus fier pour ça ; d’autant plus que la chose est problématique, car le père de ma mère, républicain violent, cachait ses antécédents politiques.

Ma mère va, dans quelques jours, s’en aller à Dieppe, chez sa petite-fille. Je serai seul une bonne partie de l’été et me propose de piocher vigoureusement :

Je travaille beaucoup et redoute le monde,
Ce n’est pas dans les bals que l’avenir se fonde.

Camille Doucet.