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DE GUSTAVE FLAUBERT.

J’ai été, à mon retour ici, assez inquiet de ma mère que j’ai trouvée très affaiblie. Elle va mieux maintenant, Dieu merci ! Mais comme c’est triste de voir les gens que l’on aime vieillir ! Ou plutôt comme tout est triste, n’est-ce pas ?

Je crois comprendre vos mélancolies si profondes. Elles me paraissent incurables, car vous êtes comme Rachel, qui ne « voulait pas être consolée » ; vous ne voulez pas guérir. Se plaire dans sa douleur est le dernier terme de la tristesse. Avez-vous au moins été à Nantes entendre un opéra ? Et un jour, vous pourriez venir à Paris. Avez-vous repris votre histoire de l’Anjou ? Et vos mémoires ? En se fixant une tâche et en l’exécutant comme une bête de somme, la vie passe assez vite.

J’ai eu pendant quelques jours, le mois dernier, la visite de notre amie Mme Sand. Quelle nature ! Quelle force ! Et personne en même temps n’est d’une société plus calmante. Elle vous communique quelque chose de sa sérénité.

Je suis toujours plongé dans mon roman. Il me faut encore une bonne année avant de l’avoir fini… et puis je ne recommencerai plus de pareilles besognes. Cette cohabitation morale avec des bourgeois me tourne sur le cœur et m’épuise. Je sens le besoin de vivre dans des milieux plus propres.

Donnez-moi quelquefois de vos nouvelles, et ne prenez jamais mon silence pour de l’oubli, car je vous plains et je vous considère comme une amie.

Tout à vous.