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CORRESPONDANCE

trouvé froid. C’est alors que, pour se justifier par devers moi, il m’a fait ces protestations d’amour « isidorien[1] » qui m’ont un peu humilié ; car c’était me prendre pour un franc imbécile.

Je crois qu’il se prépare des funérailles à la Béranger et que la popularité d’Hugo le rend jaloux. Pourquoi écrire dans les journaux quand on peut faire des livres et qu’on ne crève pas de faim ? Il est loin d’être un sage, celui-là ; il n’est pas comme vous !

Votre force me charme et me stupéfie. Je dis la force de toute la personne, pas celle du cerveau seulement.

Vous me parlez de la critique dans votre dernière lettre, en me disant qu’elle disparaîtra prochainement. Je crois, au contraire, qu’elle est tout au plus à son aurore. On a pris le contre-pied de la précédente, mais rien de plus. Du temps de La Harpe, on était grammairien ; du temps de Sainte-Beuve et de Taine, on est historien. Quand sera-t-on artiste, rien qu’artiste, mais bien artiste ? Où connaissez-vous une critique qui s’inquiète de l’œuvre en soi, d’une façon intense ? On analyse très finement le milieu où elle s’est produite et les causes qui l’ont amenée ; mais la poétique insciente ? d’où elle résulte ? sa composition, son style ? le point de vue de l’auteur ? Jamais !

Il faudrait pour cette critique-là une grande imagination et une grande bonté, je veux dire une faculté d’enthousiasme toujours prête, et puis du

  1. On a vu précédemment que Isidore était le surnom donné par Flaubert à Napoléon III.