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DE GUSTAVE FLAUBERT.

passé hier une journée dont je me souviendrai ! J’ai reçu la nouvelle le matin par un télégramme enfermé dans une lettre, si bien qu’au moment où j’apprenais la mort de mon vieil ami, on l’enterrait.

J’avais donné rendez-vous à Caudron et aux dames Lapierre. Donc j’ai été à Rouen, pour ne pas faire l’homme sensible. Sur le bateau de La Bouille, conversation d’Émangard ! À la descente du bateau, Caudron était là et nous avons réglé différentes choses relatives à Bouilhet. Il m’a accompagné à l’Hôtel-Dieu où je vais aller pour avoir des détails sur le père Pouchet. Ta tante ne m’a parlé que des chaleurs ou de la chaleur qu’elle éprouvait, et des aloyaux du sieur Tassel. Après quoi, j’ai traversé toute la ville à pied, où j’ai rencontré trois ou quatre Rouennais. Le spectacle de leur vulgarité, de leurs redingotes, de leurs chapeaux, ce qu’ils disaient et le son de leurs voix, m’ont donné à la fois envie de vomir et de pleurer ! Jamais, depuis que je suis sur la terre, pareil dégoût des hommes ne m’avait étouffé ! Je pensais continuellement à l’amour que mon vieux Théo avait pour l’art, et je sentais comme une marée d’immondices qui me submergeait. Car il est mort, j’en suis sûr, d’une suffocation trop longue causée par la bêtise moderne. Je n’étais pas en train, comme tu penses bien, d’aller voir les farces de la foire Saint-Romain. « Les anges[1] » de la rue de la ferme l’ont deviné, et j’ai été au Cimetière Monumental voir les tombes de ceux que j’ai aimés. Mes deux

  1. Mme Lapierre et sa sœur Mme Brainne.