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DE GUSTAVE FLAUBERT.

gredins et de farceurs sont venus là pour se faire de la réclame, comme d’habitude, et aujourd’hui lundi, jour du feuilleton théâtral, il doit y avoir des morceaux dans les feuilles ; ça fera de la copie. En résumé, je ne le plains pas, je l’envie. car franchement la vie n’est pas drôle.

Non, je ne crois pas le bonheur possible, mais bien la tranquillité. C’est pourquoi je m’écarte de ce qui m’irrite. Un voyage à Paris est pour moi maintenant une grosse affaire. Sitôt que j’agite la vase, la lie remonte et trouble tout. Le moindre dialogue avec qui que ce soit m’exaspère, parce que je trouve tout le monde idiot. Mon sentiment de la justice est continuellement révolté. On ne parle que de politique, et de quelle façon ! Où y a-t-il une apparence d’idée ? À quoi se raccrocher ? Pour quelle cause se passionner ?

Je ne me crois pas cependant un monstre d’égoïsme. Mon moi s’éparpille tellement dans les livres que je passe des journées entières sans le sentir. J’ai de mauvais moments, il est vrai, mais je me remonte par cette réflexion : « personne, au moins, ne m’embête. » Après quoi je me retrouve d’aplomb. Enfin il me semble que je marche dans ma voie naturelle : donc je suis dans le vrai.

Quant à vivre avec une femme, à me marier comme vous me le conseillez, c’est un horizon que je trouve fantastique. Pourquoi ? Je n’en sais rien. Mais c’est comme ça. Expliquez le problème. L’être féminin n’a jamais été emboîté dans mon existence ; et puis je ne suis pas assez riche, et puis, et puis… je suis trop vieux… et puis trop propre pour infliger à perpétuité ma personne à