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CORRESPONDANCE

bonshommes ? À plus de 1 500 ! Mon dossier de notes a huit pouces de hauteur. Et tout cela ou rien, c’est la même chose. Mais cette surabondance de documents m’a permis de n’être pas pédant ; de cela, j’en suis sûr.

Enfin je commence mon dernier chapitre ! Quand il sera fini (à la fin d’avril ou de mai), j’irai à Paris pour le second volume qui ne me demandera pas plus de six mois. Il est fait aux trois quarts et ne sera presque composé que de citations. Après quoi, je reposerai ma pauvre cervelle qui n’en peut plus.

Lisez donc la Paix et la Guerre de Tolstoï[1], trois énormes volumes, chez Hachette. C’est un roman de premier ordre, bien que le dernier volume soit raté.

Je n’ai pas souffert du froid, mais j’ai brûlé dix-huit cordes de bois, sans compter un sac de coke par jour. J’ai passé deux mois et demi absolument seul, pareil à l’ours des cavernes et en somme parfaitement bien, bien que ne voyant personne ; je n’entendais pas dire de bêtises !

  1. C’est Tourgueneff qui avait envoyé à Flaubert la Guerre et la paix de Tolstoï, en trois volumes, vers le 1er  janvier 1880 (voir sa lettre, non datée, mais non douteuse, dans Halpérine-Kaminsky, p. 130). Dans une longue lettre à Tolstoï du 12 janvier 1880, Tourgueneff cite cet intéressant passage de la réponse que Flaubert avait faite à son cadeau : « Merci de m’avoir fait lire le roman de Tolstoï. C’est de premier ordre ! Quel peintre ! et quel psychologue ! Les deux premiers sont sublimes, mais le troisième dégringole affreusement. Il se répète et il philosophise ! Enfin, on voit le monsieur, l’auteur, et le Russe, tandis que jusque-là, on n’avait vu que la nature et l’humanité. Il me semble qu’il a parfois des choses à la Shakespeare. Je poussais des cris d’admiration pendant cette lecture… et elle est longue ! — Oui, c’est fort, bien fort ! » (Cité par Halpérine-Kaminsky, ibid.)