Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/135

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Le notaire leur tournait le dos, étudiant les branches de la famille Croixmare. Elle ne répondit rien, mais se mit à jouer avec sa longue chaîne de montre. Ses seins bombaient le taffetas noir de son corsage, et, les cils un peu rapprochés, elle baissait le menton, comme une tourterelle qui se rengorge ; puis, d’un air ingénu :

— Comment s’appelait cette dame ?

On l’ignore ; c’est une maîtresse du Régent, vous savez, celui qui a fait tant de farces.

— Je crois bien ; les mémoires du temps…

Et le notaire, sans finir sa phrase, déplora cet exemple d’un prince entraîné par ses passions.

— Mais vous êtes tous comme ça !

Les deux hommes se récrièrent, et un dialogue s’ensuivit sur les femmes, sur l’amour. Marescot affirma qu’il existe beaucoup d’unions heureuses ; parfois même, sans qu’on s’en doute, on a près de soi ce qu’il faudrait pour son bonheur. L’allusion était directe. Les joues de la veuve s’empourprèrent ; mais se remettant presque aussitôt :

— Nous n’avons plus l’âge des folies, n’est-ce pas monsieur Bouvard ?

— Eh ! eh ! moi, je ne dis pas ça.

Et il offrit son bras pour revenir dans l’autre chambre.

— Faites attention aux marches. Très bien. Maintenant, observez le vitrail.

On y distinguait un manteau d’écarlate et les deux ailes d’un ange. Tout le reste se perdait sous les plombs qui tenaient en équilibre les nombreuses cassures du verre. Le jour diminuait, des ombres s’allongeaient, Mme Bordin était devenue sérieuse.