Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/597

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pièce contiguë. Ainsi disparurent, les uns après les autres, le grand tapis bleu semé de camélias que ses pieds mignons frôlaient en venant vers lui, la petite bergère de tapisserie où il s’asseyait toujours en face d’elle quand ils étaient seuls ; les deux écrans de la cheminée, dont l’ivoire était rendu plus doux par le contact de ses mains ; une pelote de velours, encore hérissée d’épingles. C’était comme des parties de son cœur qui s’en allaient avec ces choses ; et la monotonie des mêmes voix, des mêmes gestes l’engourdissait de fatigue, lui causait une torpeur funèbre, une dissolution.

Un craquement de soie se fit à son oreille ; Rosanette le touchait.

Elle avait eu connaissance de cette vente par Frédéric lui-même. Son chagrin passé, l’idée d’en tirer profit lui était venue. Elle arrivait pour la voir, en gilet de satin blanc à boutons de perles, avec une robe à falbalas, étroitement gantée, l’air vainqueur.

Il pâlit de colère. Elle regarda la femme qui l’accompagnait.

Mme Dambreuse l’avait reconnue ; et, pendant une minute, elles se considérèrent de haut en bas, scrupuleusement, afin de découvrir le défaut, la tare, l’une enviant peut-être la jeunesse de l’autre, et celle-ci dépitée par l’extrême bon ton, la simplicité aristocratique de sa rivale.

Enfin, Mme Dambreuse détourna la tête, avec un sourire d’une insolence inexprimable.

Le crieur avait ouvert un piano, son piano ! Tout en restant debout, il fit une gamme de la main droite, et annonça l’instrument pour douze