Page:Flaubert - Salammbô.djvu/182

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quèrent plus fort. Le grain, en se broyant, grinçait. Plusieurs tombèrent sur les genoux ; les autres, continuant, passaient par-dessus.

Il demanda Giddenem, le gouverneur des esclaves ; et ce personnage parut, étalant sa dignité dans la richesse de son costume ; car sa tunique, fendue sur les côtés, était de pourpre fine, de lourds anneaux tiraient ses oreilles, et, pour joindre les bandes d’étoffes qui enveloppaient ses jambes, un lacet d’or, comme un serpent autour d’un arbre, montait de ses chevilles à ses hanches. Il tenait dans ses doigts, tout chargés de bagues, un collier en grains de gagates pour reconnaître les hommes sujets au mal sacré.

Hamilcar lui fit signe de détacher les muselières. Alors tous, avec des cris de bêtes affamées, se ruèrent sur la farine, qu’ils dévoraient en s’enfonçant le visage dans les tas.

— Tu les exténues ! dit le Suffète.

Giddenem répondit qu’il fallait cela pour les dompter.

— Ce n’était guère la peine de t’envoyer à Syracuse dans l’école des esclaves. Fais venir les autres.

Et les cuisiniers, les sommeliers, les palefreniers, les coureurs, les porteurs de litière, les hommes des étuves et les femmes avec leurs enfants, tous se rangèrent dans le jardin sur une seule ligne, depuis la maison de commerce jusqu’au parc des bêtes fauves. Ils retenaient leur haleine. Un silence énorme emplissait Mégara. Le soleil s’allongeait sur la lagune, au bas des catacombes. Les paons piaulaient. Hamilcar, pas à pas, marchait.