Page:Flaubert - Salammbô.djvu/184

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C’était le gouverneur, en lui cassant la jambe avec une barre de fer.

Cette atrocité imbécile indigna le Suffète ; et, arrachant des mains de Giddenem son collier de gagates :

— Malédiction au chien qui blesse le troupeau ! Estropier des esclaves, bonté de Tanit ! Ah ! tu ruines ton maître ! Qu’on l’étouffe dans le fumier. Et ceux qui manquent ? Où sont-ils ? Les as-tu assassinés avec les soldats ?

Sa figure était si terrible que toutes les femmes s’enfuirent. Les esclaves, se reculant, faisaient un grand cercle autour d’eux ; Giddenem baisait frénétiquement ses sandales ; Hamilcar, debout, restait les bras levés sur lui.

Mais, l’intelligence lucide comme au plus fort des batailles, il se rappelait mille choses odieuses, des ignominies dont il s’était détourné ; et, à la lueur de sa colère, comme aux fulgurations d’un orage, il revoyait d’un seul coup tous ses désastres à la fois. Les gouverneurs des campagnes avaient fui par terreur des soldats, par connivence peut-être, tous le trompaient, depuis trop longtemps il se contenait.

— Qu’on les amène ! cria-t-il, et marquez-les au front avec des fers rouges, comme des lâches !

Alors on apporta et l’on répandit au milieu du jardin des entraves, des carcans, des couteaux, des chaînes pour les condamnés aux mines, des cippes qui serraient les jambes, des numella qui enfermaient les épaules, et des scorpions, fouets à triples lanières terminées par des griffes en airain.

Tous furent placés la face vers le soleil, du côté