Page:Flora Tristan - Peregrinations d une paria, 1838, I.djvu/47

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nes, qu’on s’imagine assez généralement satisfaire à la charité prêchée par Jésus-Christ.

M. Bertera, bien qu’Espagnol et bon catholique, était venu trop jeune en France, où il avait été élevé pour être imbu des mêmes préjugés religieux que M. de Goyenèche. Cependant je ne le mis pas dans ma confidence, je lui portais une amitié désintéressée, et ne voulus pas le commettre dans le mensonge que je faisais à ma famille. Ce jeune homme, depuis que je le connaissais, n’avait cessé de me prodiguer des témoignages d’affection. Je croyais à la sincérité de l’attachement qu’il me manifestait, et je me plaisais à lui montrer ma reconnaissance. Le plaisir que je ressentais à le faire fut un adoucissement aux nombreuses tribulations qui m’assaillirent pendant mon séjour à Bordeaux. Jusqu’alors la plupart des personnes avec lesquelles les circonstances m’avaient mise en rapport ne m’avaient fait que du mal, tandis que M. Bertera éprouvait de la satisfaction à m’être utile : il me confia ses douloureux regrets et ses ennuis. Il avait vu mourir de la même maladie toute sa famille à laquelle il était tendrement attaché : resté seul, il vivait dans l’isolement, au milieu du monde et de son froid égoïsme. La douleur compatit à la douleur, quelque diverses qu’en soient les causes. Dès la première conversation, il s’établit entre nos âmes une intimité mélancolique qui, pieuse dans ses aspirations, ne touchait à la terre par aucun point. J’aimais ce jeune homme de cette sympathie tendre et affectueuse que, dans le malheur, les êtres sensibles ressentent les uns pour les autres. Sa société était à mon ame un doux parfum : auprès de lui, je respirais plus librement, et l’affreux cauchemar qui continuellement m’oppressait pesait moins lourdement