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qu’aux ânes. Toutes ces extorsions épuisaient les malheureux Aréquipéniens ; ils les supportaient en murmurant sans avoir le courage de s’en affranchir, lorsque la levée d’hommes, ordonnée par le général Nieto, vint mettre le comble à leurs douleurs et à leur indignation. Le peuple péruvien est anti-militaire ; tous abhorrent l’état de soldat ; l’Indien, même préfère se tuer[1] que de servir. D’abord les Aréquipéniens refusèrent net d’obéir à l’appel du général ; Baldivia eut alors recours à la persuasion, et, dans une série d’articles de son journal, il sut si adroitement intéresser leur orgueil, que tous les jeunes gens s’enrôlèrent volontairement. L’habile moine, exploitant leur vanité, leur ignorance, les comparait aux Spartiates, aux Romains, et enfin aux immortels Parisiens de 1830 ! Il parvint, au moyen de ses flatteries, à exciter leur émulation, et c’était à qui d’entre eux, jeunes ou vieux, se mettrait au rang des défenseurs de la patrie. Je me rappelle que les articles du moine commençaient toujours ainsi : « Aréqui-

  1. Mon oncle m’a raconté que, pendant ses vingt années de guerre au Pérou, chaque fois qu’il avait des fleuves à traverser ou des précipices à côtoyer, il perdait un grand nombre de soldats indiens qui se jetaient eux-mêmes dans le fleuve ou le précipice, préférant cette mort affreuse à la vie de soldat.