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RICHE OU AIMÉE ?

Oh ! fit la jeune fille, éclatant de son rire perlé, je la vois d’ici, ma pauvre Marcelle, avec sa vieille robe, toujours la même, rajeunie à chaque saison, qu’elle portera immuablement hiver ou été, faute de pouvoir s’en acheter une autre !

Il me semble que je la rencontre, pateaugeant avec ses bottines éculées, dans la rue, un jour de mauvais temps, ne pouvant s’offrir une voiture, et économisant même l’omnibus.

Je devine d’ici son pauvre intérieur, mal tenu, par suite d’un service insuffisant, ou bien je l’aperçois, pour y remédier, brossant ses meubles et balayant son salon.

Le menu de son dîner, je le connais d’avance : le bouilli, l’unique et avantageux bouilli. Il est convenu qu’elle ne sortira pas, qu’elle n’ira ni dans le monde, ni au théâtre, qu’elle fera peu ou point de visites, mais ce qui, en dehors de tout cela, peut encore rendre chez soi la vie meilleure lui sera aussi refusé : lire, où trouvera-t-elle le moyen d’acheter les romans en vogue, de s’abonner aux journaux ? Peindre, faire de la musique, ce sont des arts qui, lorsqu’on ne les cultive pas pour vivre, ne sont pas permis à ceux qui ont peine à vivre. Travailler à ces jolis ouvrages d’agrément qui sont le talent de certaines femmes ? Ah bien oui ! elle aura mieux à faire à surveiller son pot-au-feu et à raccommoder les bas de ses enfants !

— Vous n’êtes pas amie de la médiocrité, pour ne pas dire plus, mademoiselle ? fit André souriant à cette boutade.

— Oh non ! dit Gisèle tout à fait montée, et s’exaltant à ses propres paroles ; et notez bien que j’en parlé par expérience : je sais ce que c’est que la pauvreté, je ne dis pas à ce point, bien que ma dot ne doive guère, je crois, excéder celle de ma cousine ; mais, enfin, moi aussi, j’ai porté de vieilles robes, marché dans la boue, fait ma chambre, mangé du bouilli et raccommodé mes bas, et c’est pourquoi je dis que si l’on peut, si l’on doit même se résigner à cette situation, lorsqu’elle vous est imposée par le passé et les circonstances, je ne comprends pas que, de gaité de cœur, on aille la