Page:Focillon - L’Art bouddhique.djvu/171

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le prétexte d’une fiction sentimentale ni l’aliment du désespoir ou de la joie. Elle est, et nous sommes en elle. Partout en elle, sous tous ses aspects, vit et frémit l’âme du monde. Sous l’écorce des choses palpite une flamme cachée qui n’atteste pas la présence mystérieuse d’un dieu défini. L’antique génie de l’animisme Shinto, mais une essence plus vaste et plus rayonnante. Loin de changer avec l’état de nos cœurs, sa permanence conserve aux êtres et aux objets leur individualité concrète. Esprit et matière sont un ; tout compte, tout a son intérêt, tout vit dans l’immense univers. L’ardente spiritualité de l’époque Asikaga donne sa formule et son développement à cette philosophie de la nature. La contemplation des choses accroît le génie de la race d’une note émouvante et profonde. Les vivants de la terre, du ciel et des eaux, les formes des fleurs, des nuages, des arbres, les monts, la plaine, l’orage, la lune, la nuit, les saisons envahissent les arts.

De là un admirable équilibre entre l’homme et la nature, une perception solennelle des rapports du moi et du tout, qui engendre une sérénité puissante. La contemplation n’a pas le désenchantement pour point de départ ou pour conséquence. Elle va plus loin que l’intuition bergsonienne, greffée sur le courant des forces obscures, et d’un rythme plus égal. Elle plonge au sein de la vie, mais sans jamais perdre pied, sans devenir une torpeur ou un délire. Du haut de son rocher, au fond des forêts, le solitaire bouddhiste