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Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/77

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peu. « O moy, dit-il, par-dessus tous les autres miserables, poussé çà et là par un mauvais sort, et dont la fortune n’est encore contente ! » Guy, s’escriant en ceste façon, declare enfin toute son alfaire à son fidele Sinibalde ; et pendant qu’il en fait le discours, cent sortes de couleurs luy montent au visage. Sinibalde, d’apprehension, et de fascherie qu’il prenoit de son amy, se ride tout le front, comme coustumierement il nous advient pour quelque merveille inopinée ; ne parle aucunement, et se contient ainsi presque une heure. Enfin toutefois, tirant hors du poulmon quelque voix, il commence à parler, et s’efforce de luy tirer dehors telle bizarrerie, luy mettant au-devant. plusieurs propos de raison. Il luy remonstre la droite voye, et celle qui est oblique et tortueuse, et comme la vie est tousjours accompagnée de cent perils. Il luy propose en après mille beaux exemples, lesquels estoient suffisans pour attendrir l’ame du cruel Neron. Mais, avec ces raisons, Sinibalde pile de l’eau en un mortier, et escrit sur la glace pendant la chaleur d’Apollon. « Ha, frere, mon amy, dit-il, ne te tue point toy-mesme, ne te casse point les jambes, ni te romps le col ! Où est allée ta grande vertu ? Où est ta renommée gaillarde ? Où est la grandeur de ton courage, pour laquelle on te dit par le monde estre le champion de justice, la lumiere de la guerre, le bouclier le de la raison ? Veux-tu en un moment perdre des choses si rares, lesquelles Charlemagne n’a acquises en si peu d’années ? Tu pourrois meurement gouverner tout le monde, et maintenant tu souffres qu’une seule femmielette te gouverne ! O quelle sale et vilaine vergongne efface ta splendeur ! Laisse, je te prie, cet ennuy, et reprens la propre prudence. Pendant que la nouvelle playe s’enfle, il la faut entamer avec le rasoir de raison. Aye devant tes yeux l’embrasement de la miserable Troye, laquelle a esté abismée par les guerres de Grece, de laquelle on ne pourroit veoir une seule bricque restée. Ce cheval a-il esté cause de sa ruine, au ventre duquel estoient cachez des