dent la voix plus belle. Les missionnaires s’embarquèrent donc sur des pirogues avec les nouveaux catéchumènes ; ils remontèrent les fleuves, en chantant de saints cantiques. Les néophytes répétaient les airs, comme des oiseaux privés chantent pour attirer dans les rets de l’oiseleur les oiseaux sauvages. Les Indiens ne manquèrent pas de se venir prendre au doux piège. Ils descendaient de leurs montagnes, et accouraient au bord des fleuves pour écouter ces accents, plusieurs même se jetaient dans les ondes, et suivaient à la nage la nacelle enchantée.
« La lune, en répandant sa lumière mystérieuse sur ces scènes extraordinaires, achevait d’attendrir les cœurs. L’arc et la flèche échappaient à la main du sauvage ; l’avant-goût des vertus sociales et des premières douceurs de l’humanité entrait dans son âme confuse. Il voyait la femme et les enfants pleurer d’une joie inconnue ; bientôt, subjugué par un attrait irrésistible, il tombait au pied de la croix, et mêlait des torrents de larmes aux eaux régénératrices qui coulaient sur sa tête.
« Ainsi la religion chrétienne réalisait dans les forêts de l’Amérique ce que la fable racontait des Amphion et des Orphée ; réflexion si naturelle, qu’elle s’est présentée même aux missionnaires ; tant il est certain qu’on ne dit ici que la vérité, en ayant l’air de raconter une fiction. »
Il n’est pas besoin de faire sentir le charme et la nouveauté de ces peintures ; mais il est bon d’observer qu’à l’égard du gouvernement paternel des jésuites, le défenseur du christianisme ne dit rien que Montesquieu ne confirme, et que Raynal, dans ces derniers temps, n’ait été contraint d’avouer. Je rapporterai les propres mots de ce dernier :
« Lorsqu’en 1768, les Missions du Paraguay sortirent des mains des jésuites, elles étaient arrivées a un point de civilisation le plus grand peut-être où l’on puisse conduire les nations nouvelles. On y observait les lois. Il y régnait une police exacte. Les mœurs étaient pures. Une heureuse fraternité y unissait tous les cœurs. Tous les arts de nécessité y étaient perfectionnés : on en con-