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Page:Fontanes - Œuvres, tome 2.djvu/323

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ŒUVRES DE FONTANES.

défendu que les armes et les aigles prussiennes, que tout cet amas de trophées conquis sur les descendants d’un grand roi, traversât les lieux où sa cendre repose, de peur d’affliger ses mânes et d’insulter son tombeau[1].

Je crois donc entrer dans la pensée du vainqueur, en rendant hommage aux vaincus devant ces drapeaux mêmes qu’ils n’ont pu défendre, mais qu’ils ont teints d’un sang glorieux. Si, des régions élevées qu’ils habitent, les grands hommes que la terre a perdus s’intéressent encore aux choses humaines, Frédéric a pu reconnaître, jusque dans leurs derniers soupirs, les vieux compagnons formés à son école, et morts dignement sur les ruines de sa monarchie. Il n’a point vu tomber sans gloire ces jeunes princes de sa maison qui ont mordu la poussière aux champs d’Iéna, ou qui, après d’illustres faits d’armes, ont signé des capitulations et reçu des fers honorables. Ô comme il est juste de plaindre la valeur malheureuse ! ô comme il est doux de pouvoir estimer les ennemis qu’on a défaits ! Oui, et j’aime à le dire au milieu de tous ces juges de la vraie gloire dont je suis environné ; oui, le monarque prussien lui-même, aujourd’hui sans capitale et presque sans armée, a pourtant soutenu sa dignité dans la bataille qui lui fut si funeste, et n’a manqué ni aux devoirs d’un chef, ni à ceux d’un soldat.

  1. L’Empereur avait défendu qu’on fit passer dans Postdam, où est mort Frédéric, les drapeaux conquis sur les Prussiens.