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ŒUVRES DE FONTANES.

entière ; car enfin on trouve des mœurs, de la probité, des lumières au-dessous des électeurs à trois cents francs. Il y a du bien et du mal dans tous les états de la société : voilà ce qui est vrai ; tout le reste est une vaine déclamation.

Un auteur célèbre, ami des doctrines du siècle, avait écrit un livre contre les grands, les riches et les puissants de la terre. Il n’avait pas manqué, suivant l’usage, de vouer ces oppresseurs du peuple à l’exécration universelle. Ce même homme fut témoin des premiers excès de la révolution française. Tout à coup il changea d’avis, il se réconcilia tout à fait avec ceux qu’il avait outragés, et devint le plus ardent ennemi de la classe populaire. Quand on lui demandait la raison d’un changement si bizarre, il répondait : « Je croyais connaître les grands, et je ne connaissais pas les petits. »

Évitons le double excès de cette fausse misanthropie. En estimant les petits quand ils en sont dignes, n’insultons point ceux qui furent grands et qui le sont toujours, même après la perte de leur fortune et de leurs honneurs, par le courage et la résignation qu’ils ont montrés dans l’infortune. Rien n’est plus noble assurément qu’une noble pauvreté. Mais si je voulais devant elle abaisser l’orgueil de l’opulence, je n’attesterais point l’esprit du siècle présent ; je remonterais jusqu’à l’auguste antiquité de ces siècles héroïques dont les souvenirs excitent tant d’amertume. Alors celui qui n’avait reçu pour héritage de ses aïeux qu’une épée de fer, effaçait par de grandes