Page:Fontenelle - Œuvres de Fontenelle, Tome II, 1825.djvu/83

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hasard, qui leur mettait sous les yeux tantôt une opération, tantôt une autre ; rien de suivi, rien de méthodique ne dirigeait leurs connaissances. Il obtint de M. de Harlay que l’on construisît un lieu où il leur ferait des cours réglés d’anatomie. S’il eût pris cette occasion de demander des appointemens plus forts, s’il ne l’eut même fait naître que dans cette vue, on ne l’eût pas blâmé d’accorder son intérêt avec celui du public. D’ailleurs le premier président l’honorait d’une affection particulière ; et comme ce grand magistrat avait beaucoup d’esprit, peut-être l’aimait-il d’autant plus qu’il fallait de la pénétration pour sentir tout ce qu’il valait ; mais Mery ne songea, dans son nouvel établissement, qu’à l’utilité publique, et il se tint heureux, qu’on lui eût accordé un surcroit considérable d’assujétissement et de travail.

Son génie était d’apporter une extrême exactitude à l’observation, et de se bien assurer de la simple vérité des choses. Il ne se pressait point d’imaginer pourquoi telle disposition, telle structure ; il voyait les faits d’autant plus sûrement, qu’il ne les voyait point au travers d’un système déjà formé qui eût pu les changer à ses yeux. Son cabinet anatomique, auquel il avait travaillé une bonne partie de sa vie, ce nombre prodigieux de dissections faites de sa main, avec une patience étonnante, avaient apparemment aidé à lui faire prendre cette habitude ; il avait été si long-temps appliqué à ne faire que voir, qu’il n’avait pas eu le loisir de songer tant à deviner ; mais on doit convenir qu’il n’y a pas moins de sagacité d’esprit à bien voir en cette matière qu’à deviner ; aussi n’avait-on pas à craindre que ce qu’il faisait voir aux autres il le leur déguisât, ou