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Page:Fontenelle - Œuvres de Fontenelle, Tome III, 1825.djvu/292

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avaient tant d’esprit, que leur raison en souffrait un peu. Les Romains étaient d’un autre caractère ; gens solides, sérieux, appliqués, qui savaient suivre un principe et prévoir de loin une conséquence. Je ne serais pas surpris que les Grecs, sans songer aux suites, eussent traité étourdiment le pour et le contre de toutes choses, qu’ils eussent fait des sacrifices, en disputant si les sacrifices pouvaient toucher les dieux, et qu’ils eussent consulté les oracles, sans être assurés que les oracles ne fussent pas de pures illusions. Apparemment les philosophes s’intéressaient assez peu au gouvernement pour ne se pas soucier de choquer la religion dans leurs disputes, et peut-être le peuple n’avait pas assez de foi aux philosophes pour abandonner la religion, ni pour y rien changer sur leur parole, et enfin la passion dominante des Grecs était de discourir sur toutes les matières, à quelque prix que ce pût être. Mais il est sans doute plus étonnant que les Romains, et les plus habiles d’entre les Romains, et ceux qui savaient le mieux combien la religion tirait à conséquence pour la politique, aient osé publier des ouvrages où non seulement ils mettaient leur religion en question, mais même la tournaient entièrement en ridicule. Je parle de Cicéron, qui, dans ses livres de la Divination, n’a rien épargné de ce qui était le plus saint à Rome. Après qu’il a fait voir assez vivement à ceux contre qui il dispute, quelle extrême folie c’était de consulter les entrailles d’animaux, il les réduit à répondre que les dieux, qui sont tout-puissants, changent les entrailles dans le moment du sacrifice, afin de marquer par elles leur volonté et l’avenir. Cette réponse était de Chrysippe, d’Antipater et de Posidonius, tous grands philosophes,