Page:Fontenelle - Œuvres de Fontenelle, Tome III, 1825.djvu/399

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une galanterie que vous n’avez pas eue : voilà un grand malheur ! Mais en récompense, on vous donne de la beauté et de l’esprit, que vous n’aviez peut-être pas.

DIDON.

Quelle consolation !

STRATONICE.

Je ne sais comment vous êtes faite, mais la plupart des femmes aiment mieux, ce me semble, qu’on médise un peu de leur vertu, que de leur esprit ou de leur beauté. Pour moi, j’étais de cette humeur là. Un peintre, qui était à la cour du roi de Syrie mon mari, fut mal content de moi : et pour se venger, il me peignit entre les bras d’un soldat. Il exposa son tableau, et prit aussitôt la fuite. Mes sujets, zélés pour ma gloire, voulaient brûler ce tableau publiquement ; mais comme j’y étais peinte admirablement bien, et avec beaucoup de beauté, quoique les attitudes qu’on m’y donnait ne fussent pas avantageuses à ma vertu, je défendis qu’on le brûlât, et fis revenir le peintre à qui je pardonnai. Si vous m’en croyez, vous en userez de même à l’égard de Virgile.

DIDON.

Cela serait bon, si le premier mérite d’une femme était d’être belle, ou d’avoir de l’esprit.

STRATONICE.

Je ne décide point quel est ce premier mérite : mais dans l’usage ordinaire, la première question qu’on fait sur une femme que l’on ne connaît point, c’est, est-elle belle ? la seconde, a-t-elle de l’esprit ? Il arrive rarement qu’on fasse une troisième question.