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DIALOGUE IV.

ANACRÉON, ARISTOTE.


ARISTOTE.

Je n’eusse jamais cru qu’un faiseur de chansonnettes eût osé se comparer à un philosophe d’une aussi grande réputation que moi.

ANACRÉON.

Vous faites sonner bien haut le nom de philosophe : mais moi, avec mes chansonnettes, je n’ai pas laissé d’être appelé le sage Anacréon ; et il me semble que le titre de philosophe ne vaut pas celui de sage.

ARISTOTE.

Ceux qui vous ont donné cette qualité là, ne songeaient pas trop bien à ce qu’ils disaient. Qu’aviez-vous jamais fait pour la mériter ?

ANACRÉON.

Je n’avais fait que boire, que chanter, qu’être amoureux ; et la merveille est qu’on m’a donné le nom de sage à ce prix, au lieu qu’on ne vous a donné que celui de philosophe, qui vous a coûté des peines infinies. Car combien avez-vous passé de nuits à éplucher les questions épineuses de la dialectique ? Combien avez-vous composé de gros volumes sur des matières obscures, que vous n’entendiez peut-être pas bien vous même ?

ARISTOTE.

J’avoue que vous avez pris un chemin plus commode pour parvenir à la sagesse, et qu’il fallait être bien habile, pour trouver moyen d’acquérir plus de gloire avec votre luth et votre bouteille, que les plus grands