Page:Fontenelle - Œuvres de Fontenelle, Tome III, 1825.djvu/408

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vôtre, j’eusse eu grand’peur. Mon père, après avoir fait de moi une fille fort savante et fort spirituelle, me déshérita, tant il se tenait sûr qu’avec ma science et mon bel esprit, je ne pouvais manquer de faire fortune, et a dire le vrai, je le croyais comme lui. Mais je vois présentement que je courais un grand hasard et qu’il n’était pas impossible que je demeurasse sans aucun bien, et avec la seule philosophie en partage.

ICASIE.

Non, assurément ; mais par bonheur pour vous mon aventure n’était pas encore arrivée. Il serait assez plaisant que dans une occasion pareille à celle où je me trouvai, quelqu’autre qui saurait mon histoire, et qui voudrait en profiter, eût la finesse de ne laisser point voir d’esprit, et qu’on se moquât d’elle.

ATHÉNAÏS.

Je ne voudrais pas répondre que cela lui réussît, si elle avait un dessein ; mais bien souvent, on fait par hasard les plus heureuses sottises du monde. N’avez-vous pas ouï parler d’un peintre qui avait si bien peint des grappes de raisin, que des oiseaux s’y trompèrent, et les vinrent becqueter ? Jugez quelle réputation cela lui donna. Mais les raisins étaient portés dans le tableau par un petit paysan : on disait au peintre, qu’à la vérité il fallait qu’ils fussent bien faits, puisqu’ils attiraient les oiseaux. ; mais qu’il fallait que le petit paysan fût bien mal fait, puisque les oiseaux n’en avaient point de peur. On avait raison. Cependant, si le peintre ne se fût pas oublié dans le petit paysan, les raisins n’eussent pas eu ce succès prodigieux qu’ils eurent.