Page:Fontenelle - Œuvres de Fontenelle, Tome III, 1825.djvu/419

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et apprendre comment vous possédiez cette vertu si naïve[1] dont les allures étaient si naturelles, et qui n’avaient point d’exemple, même dans les heureux siècles où vous viviez.

SOCRATE.

Je suis bien aise de voir un mort qui me parait avoir été philosophe : mais comme vous êtes nouvellement venu de là-haut, et qu’il y a long-temps que je n’ai vu ici personne (car on me laisse assez seul, et il n’y pas beaucoup de presse à rechercher ma conversation), trouvez bon que je vous demande des nouvelles. Comment va le monde ? N’est-il pas bien changé ?

MONTAIGNE.

Extrêmement. Vous ne le reconnaîtriez pas.

SOCRATE.

J’en suis ravi. Je m’étais toujours bien douté qu’il fallait qu’il devînt meilleur et plus sage qu’il n’était de mon temps.

MONTAIGNE.

Que voulez-vous dire ? il est plus fou et plus corrompu qu’il n’a jamais été. C’est le changement dont je voulais parler, et je m’attendais bien à savoir de vous l’histoire du temps que vous avez vu, et où régnait tant de probité et de droiture.

SOCRATE.

Et moi, je m’attendais au contraire à apprendre des merveilles du siècle où vous venez de vivre. Quoi ! les hommes d’à présent ne se sont point corrigés des sottises de l’antiquité ?

MONTAIGNE.

Je crois que c’est parce que vous êtes ancien, que

  1. Termes de Montaigne.