Page:Fontenelle - Œuvres de Fontenelle, Tome III, 1825.djvu/422

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haut, pour abaisser ses contemporains. Quand nous vivions, nous estimions nos ancêtres plus qu’ils ne méritaient ; et à présent, notre postérité nous estime plus que nous ne méritons : mais et nos ancêtres, et nous, et notre postérité, tout cela est bien égal ; et je crois que le spectacle du monde serait bien ennuyeux pour qui le regarderait d’un certain œil, car c’est toujours la même chose.

MONTAIGNE.

J’aurais cru que tout était en mouvement, que tout changeait, et que les siècles différens avaient leurs différens caractères, comme les hommes. En effet, ne voit-on pas des siècles savans, et d’autres qui sont ignorans ? n’en voit-on pas de naïfs, et d’autres qui sont plus raffinés ? n’en voit-on pas de sérieux et de badins, de polis et de grossiers ?

SOCRATE.

Il est vrai.

MONTAIGNE.

Et pourquoi donc n’y aurait-il pas des siècles plus vertueux, et d’autres plus méchans ?

SOCRATE.

Ce n’est pas une conséquence. Les habits changent ; mais ce n’est pas à dire que la figure des corps change aussi. La politesse ou la grossièreté, la science ou l’ignorance, le plus ou le moins d’une certaine naïveté, le génie sérieux ou badin, ce ne sont là que les dehors de l’homme, et tout cela change : mais le cœur ne change point, et tout l’homme est dans le cœur. On est ignorant dans un siècle, mais la mode d’être savant peut venir, on est intéressé, mais la mode d’être désintéressé ne viendra point. Sur ce nombre prodigieux