Page:Fontenelle - Œuvres de Fontenelle, Tome III, 1825.djvu/437

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MARIE D’ANGLETERRE.

M’en croiriez-vous, si je vous disais que je ne vous ai jamais envié ce bonheur-là ?

ANNE DE BRETAGNE.

Non ; je conçois trop bien ce que c’est que d’être duchesse de Suffolk, après qu’on a été reine de France.

MARIE D’ANGLETERRE.

Mais j’aimais le duc de Suffolk.

ANNE DE BRETAGNE.

Il n’importe. Quand on a goûté les douceurs de la royauté, en peut-on goûter d’autres ?

MARIE D’ANGLETERRE.

Oui, pourvu que ce soient celles de l’amour. Je vous assure que vous ne devez point me vouloir de mal de ce que je vous ai succédé. Si j’eusse toujours pu disposer de moi, je n’eusse été que duchesse ; et je retournai bien vite en Angleterre pour y prendre ce titre, dès que je fus déchargée de celui de reine.

ANNE DE BRETAGNE.

Aviez-vous les sentimens si peu élevés ?

MARIE D’ANGLETERRE.

J’avoue que l’ambition ne me touchait point. La nature a fait aux hommes des plaisirs simples, aisés, tranquilles, et leur imagination leur en a fait qui sont embarrassans, incertains, difficiles à acquérir ; mais la nature est bien plus habile à leur faire des plaisirs, qu’ils ne le sont eux-mêmes. Que ne se reposent-ils sur elle de ce soin-la ? Elle a inventé l’amour, qui est fort agréable, et ils ont inventé l’ambition, dont il n’était pas besoin.

ANNE DE BRETAGNE.

Qui vous a dit que les hommes aient inventé l’ambi-