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tion ? La nature n’inspire pas moins les désirs de l’élévation et du commandement, que le penchant de l’amour.

MARIE D’ANGLETERRE.

L’ambition est aisée à reconnaître pour un ouvrage de l’imagination ; elle en a le caractère, elle est inquiète, pleine de projets chimériques ; elle va au-delà de ses souhaits, dès qu’ils sont accomplis ; elle a un terme qu’elle n’attrape jamais.

ANNE DE BRETAGNE.

Et malheureusement l’amour en a un qu’il attrape trop tôt.

MARIE D’ANGLETERRE.

Ce qui en arrive, c’est qu’on peut être plusieurs fois heureux par l’amour, et qu’on ne le peut être une seule fois par l’ambition ; ou, s’il est possible qu’on le soit, du moins ces plaisirs-là sont faits pour trop peu de gens : et par conséquent ce n’est point la nature qui les propose aux hommes, car ses faveurs sont toujours très générales. Voyez l’amour, il est fait pour tout le monde. Il n’y a que ceux qui cherchent leur bonheur dans une trop grande élévation, à qui il semble que la nature ait envié les douceurs de l’amour. Un roi qui peut s’assurer de cent mille bras, ne peut guère s’assurer d’un cœur : il ne sait si on ne fait pas pour son rang, tout ce qu’on aurait fait pour la personne d’un autre. Sa royauté lui coûte tous les plaisirs les plus simples et les plus doux.

ANNE DE BRETAGNE.

Vous ne rendez pas les rois beaucoup plus malheureux par cette incommodité que vous trouvez à leur condition. Quand on voit ses volontés non-seulement