Page:Fontenelle - Œuvres de Fontenelle, Tome III, 1825.djvu/455

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Soliman, quoique je ne pusse l’amener au mariage par l’espérance d’un bonheur qu’il n’eût pas encore obtenu. Vous allez entendre un stratagême plus fin que le vôtre. Je commençai à bâtir des temples et à faire beaucoup d’autres actions pieuses ; après quoi je fis paraître une mélancolie profonde. Le sultan m’en demanda la cause mille et mille fois ; et quand j’eus fait toutes les façons nécessaires, je lui dis que le sujet de mon chagrin était que toutes mes bonnes actions, à ce que m’avaient dit nos docteurs, ne me servaient de rien, et que comme j’étais esclave, je ne travaillais que pour Soliman mon seigneur. Aussitôt Soliman m’affranchit, afin que le mérite de mes bonnes actions tombât sur moi-même : mais quand il voulut vivre avec moi comme à l’ordinaire, et me traiter en sultane du sérail, je lui marquai beaucoup de surprise, et lui représentai, avec un grand sérieux, qu’il n’avait nul droit sur la personne d’une femme libre. Soliman avait la conscience délicate ; il alla consulter ce cas à un docteur de la loi, avec qui j’avais intelligence. Sa réponse fut, que le Sultan se gardât bien de prendre rien sur moi, qui n’étais plus son esclave, et que s’il ne m’épousait, je ne pouvais être à lui. Alors le voilà plus amoureux que jamais. Il n’avait qu’un seul parti à prendre, mais un parti fort extraordinaire et même dangereux, à cause de la nouveauté , cependant il le prit, et m’épousa.

AGNÈS SOREL.

J’avoue qu’il est beau d’assujétir ceux qui se précautionnent tant contre notre pouvoir.

ROXELANE.

Les hommes ont beau faire, quand on les prend par les passions, on les mène où l’on veut. Qu’on me fasse