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Page:Fontenelle - Œuvres de Fontenelle, Tome III, 1825.djvu/459

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trompé ; et si ses supputations eussent été bien faites il aurait prédit tout le contraire de ce qu’il avait prédit.

JEANNE DE NAPLES.

Si je croyais que cette histoire fût vraie, je serais bien fâchée qu’on ne la sût pas dans le monde, pour se détromper des astrologues.

ANSELME.

On sait bien d’autres histoires à leur désavantage, et leur métier ne laisse pas d’être toujours bon. On ne se désabusera jamais de tout ce qui regarde l’avenir ; il a un charme trop puissant. Les hommes, par exemple, sacrifient tout ce qu’ils ont à une espérance ; et tout ce qu’ils avaient, et ce qu’ils viennent d’acquérir, ils le sacrifient encore à une autre espérance ; et il semble que ce soit là un ordre malicieux établi dans la nature pour leur ôter toujours d’entre les mains ce qu’ils tiennent. On ne se soucie guère d’être heureux dans le moment où l’on est : on remet à l’être dans un temps qui viendra, comme si ce temps qui viendra devait être autrement fait que celui qui est déjà venu.

JEANNE DE NAPLES.

Non, il n’est pas fait autrement, mais il est bon qu’on se l’imagine.

ANSELME.

Et que produit cette belle opinion ? Je sais une petite fable qui vous le dira bien. Je l’ai apprise autrefois à la cour d’amour[1], qui se tenait dans votre comté de Provence. Un homme avait soif, et était assis sur le bord d’une fontaine : il ne voulait point boire de l’eau qui coulait devant lui, parce qu’il espérait qu’au bout

  1. C’était une espèce d’académie.