Page:Fontenelle - Œuvres de Fontenelle, Tome IV, 1825.djvu/22

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un bien plus grand mal. Toul un peuple en a autrefois été atteint, et en a extrêmement souffert.

PARMÉNISQUE.

Quoi ! il s’est trouvé tout un peuple trop disposé à la gaieté et à la joie ?

THÉOCRITE.

Oui, c’étaient les Tirinthiens.

PARMÉNISQUE.

Les heureuses gens !

THÉOCRITE.

Point du tout. Comme ils ne pouvaient plus prendre leur sérieux sur rien, tout allait en désordre parmi eux. S’ils s’assemblaient sur la place, tous leurs entretiens roulaient sur des folies, au lieu de rouler sur les affaires publiques ; s’ils recevaient des ambassadeurs, ils les tournaient en ridicule ; s’ils tenaient le conseil de ville, les avis des plus graves sénateurs n’étaient que des bouffonneries ; et en toutes sortes d’occasions, une parole ou une action raisonnable eût été un prodige chez les Tirinthiens. Ils se sentirent enfin incommodés de cet esprit de plaisanterie, du moins autant que vous l’aviez été de votre tristesse, et ils allèrent consulter l’oracle de Delphes, aussi bien que vous, mais pour une fin bien différente ; c’est-à-dire pour lui demander les moyens de recouvrer un peu de sérieux. L’oracle répondit que s’ils voulaient sacrifier un taureau à Neptune, sans rire, il serait désormais en leur pouvoir d’être plus sages. Un sacrifice n’est pas une action si plaisante d’elle-même ; cependant, pour la faire sérieusement, ils y apportèrent bien des préparatifs : ils résolurent de n’y recevoir point de jeunes gens, mais seulement des vieillards, et non pas encore toutes sortes de