Page:Fontenelle - Œuvres de Fontenelle, Tome IV, 1825.djvu/56

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au contraire, vous mîtes toute la vôtre en étalage et en pompe. Vous ne voulûtes même vous tuer que dans une assemblée de pareils. La vertu n’est-elle pas contente du témoignage qu’elle se rend à elle-même ? N’est-il pas d’une grande âme de mépriser cette chimère de gloire ?

LUCRÈCE.

Il s’en faut bien garder. Ce serait une sagesse trop dangereuse. Cette chimère là est ce qu’il y a de plus puissant au monde ; elle est l’âme de tout : on la préfère à tout ; et voyez comme elle peuple les Champs Élisées. La gloire nous amène ici plus de gens que la fièvre. Je suis du nombre de ceux qu’elle y a amenés ; j’en puis parler.

BARBE PLOMBERGE.

Vous êtes donc bien prise pour dupe, aussi bien qu’eux, vous qui êtes morte de cette maladie là ? Car du moment qu’on est ici bas, toute la gloire imaginable ne fait aucun bien.

LUCRÈCE.

C’est là un des secrets du lieu où nous sommes ; il ne faut pas que les vivans le sachent.

BARBE PLOMBERGE.

Quel mal y aurait-il qu’ils se défissent d’une idée qui les trompe ?

LUCRÈCE.

On ne ferait plus d’actions héroïques.

BARBE PLOMBERGE.

Pourquoi ? On les ferait par la vue de son devoir. C’est une vue bien plus noble ; elle n’est fondée que sur la raison.

LUCRÈCE.

Et c’est justement ce qui la rend trop faible. La