Page:Fontenelle - Œuvres de Fontenelle, Tome IV, 1825.djvu/65

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

MOLIÈRE.

Rien n’est plus facile. On leur prouve leurs sottises, sans employer de grands tours d’éloquence, ni des raisonnemens bien médités. Ce qu’ils font est si ridicule, qu’il ne faut qu’en faire autant devant eux, et vous les voyez aussitôt crever de rire.

PARACELSE.

Je vous entends ; vous étiez comédien. Pour moi, je ne conçois pas le plaisir qu’on prend à la comédie : on y va rire des mœurs qu’elle représente ; et que ne rit-on des mœurs mêmes ?

MOLIÈRE.

Pour rire des choses du monde, il faut en quelque façon en être dehors, et la comédie vous en tire : elle vous donne tout en spectacle, comme si vous n’y aviez point de part.

PARACELSE.

Mais on rentre aussitôt dans ce tout dont on s’était moqué, et on recommence à en faire partie ?

MOLIÈRE.

N’en doutez pas ; l’autre jour, en me divertissant, je fis ici une fable sur ce sujet. Un jeune oison volait avec la mauvaise grâce qu’ont tous ceux de son espèce, quand ils volent ; et pendant ce vol d’un moment, qui ne l’élevait qu’à un pied de terre, il insultait au reste de la basse-cour. « Malheureux animaux, disait-il, je vous vois au-dessous de moi, et vous ne savez pas fendre ainsi les airs. » La moquerie fut courte, l’oison retomba dans le même temps.

PARACELSE.

À quoi donc servent les réflexions que la comédie fait faire, puisqu’elles ressemblent au vol de cet oison,