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les mystères de montréal

Jeanne Duval avait dix-sept ans et ses sourires faisaient rêver bien des gars. Elle était belle avec ses cheveux châtains, ses yeux bleus et ses joues roses, fraîches, veloutées comme la pelure d’une pêche.

Quelque chose ajoutait à sa beauté : c’était cet air bon et naïf qu’elle conservait depuis ses premiers ans.

On avait surnommé Jeanne les uns « mademoiselle » à cause de la haute position de son père — notaire et colonel du trente-quatrième bataillon et en outre possesseur de la plus belle maison de Saint-Denis — les autres la « petite institutrice » à cause des leçons gratuites qu’elle se plaisait à donner aux petits enfants pauvres.

Lorsqu’elle traversait le village, on la regardait à la dérobée. Les moins timides lui jetaient une œillade accompagnée d’un sourire, puis on les entendait chuchoter :

— Paul pourra se passer de la pitié de ses voisins, avec cette femme au bras.

Paul Turcotte, au mécontentement de plusieurs, avait plus d’une fois laissé voir son amour pour la fille du notaire, et leurs relations devenues fréquentes depuis quelque temps faisaient croire qu’ils s’épouseraient un jour ou l’autre.

Paul Turcotte avait vingt-un ans, mais il était si fortement constitué, si robuste, qu’on lui en eut donné deux ou trois de plus.

Le Bas-Canada était en pleine effervescence politique. On murmurait contre les menées du gouverne-