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le pouce crochu

avec beaucoup de goût. Mais elle avait un teint de Bohémienne et une toilette à l’avenant, et il n’en fallait pas plus pour exciter la curiosité d’un blasé, en quête d’aventures bizarres. Après la comtesse rousse, cette espèce de mulâtresse bistrée, cuivrée et attifée à la diable, se présentait tout à point pour compléter la journée d’Alfred.

Il ne prit pas de détours pour entamer la conversation.

— Ce n’est pas bon, ce que vous mangez, dit-il en regardant le jambon ; et ce que vous buvez ne doit pas être meilleur.

— C’est possible, mais ça ne vous regarde pas, répliqua la dame. Est-ce que vous vous êtes mis là pour débiner mon souper ?

— Non, bel ange brun. Pour vous en offrir un meilleur…

— Alors, vous pouvez rester.

— À condition que vous le commanderez.

— Ça me va. Un poulet sauté, une salade de légumes, des fraises et du vieux bourgogne. Le Champagne me fait mal.

Fresnay appela le garçon et répéta la commande. Il s’aperçut à ce moment, que les autres femmes le regardaient en ricanant. Évidemment, elles n’approuvaient pas le choix qu’il venait de faire et surtout elles en crevaient de jalousie. Sur quoi, il prit la résolution de se moquer d’elles et il se mit à traiter son invitée avec toutes les apparences d’un profond respect.

— Pardon, chère madame, d’en user avec vous si familièrement, dit-il, du même ton que s’il avait parlé à une femme du meilleur monde ; vous devez me trouver bien indiscret.