Page:Foucher - La Vie du Bouddha, 1949.djvu/220

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’accueillir dans son ermitage ; mais en ce jeune çramane à la tête rasée, jouissant déjà de la faveur des villageois d’alentour, il ne tarde pas à soupçonner un dangereux rival. De l’aveu même de la légende, la contestation sera des plus dures et le Bouddha devra s’employer à fond. Il ne réussira à triompher de l’orgueil obstiné de son vieil adversaire qu’à coup de miracles — trois mille cinq cents, disent les textes pâli ; cinq cents, dit le Mahâvastou, pour une fois plus sobre. Par bonne chance nul n’a prétendu les décrire ni les énumérer tous, et le tri que les imagiers ont fait à leur tour parmi les plus importants d’entre eux achèvera de nous aider à reconnaître ceux qui, restés les plus vivants dans l’imagination populaire, seuls méritent à ce titre de retenir un instant notre curiosité.

Nous glisserons donc sur les disparitions ou réapparitions quasi instantanées du Bouddha — le temps que met un homme fort à déployer ou à reployer son bras — selon qu’il lit dans la pensée du rishi le désir d’être débarrassé de sa présence ou le regret de son absence ; et aussi sur les merveilleuses visites nocturnes que Brahma et Indra rendent au seul Prédestiné et qui illuminent toute la contrée. La verve des conteurs (et, à leur suite, celle des vieux imagiers) s’était particulièrement dépensée en variations comiques sur le thème inépuisable de « l’ermitage ensorcelé » : il est bien permis de s’amuser un peu aux dépens de ses adversaires. Tantôt c’est le sommaire mobilier ou les rares ustensiles de ménage des anachorètes qui deviennent invisibles au moment de s’en servir ; tantôt même ce sont les accessoires rituels du sacrifice qui refusent inopinément leurs services. Tour à tour le bois du bûcher ne consent plus à se laisser fendre, ni le feu sacré à s’allumer, ni l’oblation à se détacher de la cuiller : puis soudain tout rentre dans l’ordre. Chaque fois les brahmanes se doutent bien que ces phénomènes, qui pour eux n’ont rien de divertissant, ne s’expliquent que par l’intervention magique du « çramane Gaoutama », opérant à distance et sans avoir l’air de rien ; mais ils n’en continuent pas moins à se croire plus forts en magie et plus éminents en sainteté que leur mystificateur. Pour courber définitivement leur superbe on comprend que ces petites niches d’apprenti-sorcier ne suffisent pas. Il y faut un miracle sensationnel, et, chose curieuse à noter, ce miracle décisif n’est pas le même dans les deux grandes traditions dites du Sud et du Nord : en bref, pour brusquer le dénouement de ce conflit interminable, celle-là a fait intervenir l’eau et celle-ci le feu.

Toutes deux connaissent d’ailleurs ce dernier prodige bien qu’elles ne soient pas d’accord sur l’importance du rôle qu’il convient de lui attribuer. Le Bouddha demande à Kâçyapa d’Ouroubilvâ la permission de coucher dans la hutte où celui-ci conserve son feu sacrificiel ; et fort honnêtement le vieillard le détourne de commettre une aussi fatale imprudence, car ce lieu est hanté par un mauvais dragon redouté de tous. Çâkya-mouni