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passe outre à ces sages remontrances, et aussitôt entre le Nâga et lui s’engage une lutte terrible, fumée contre fumée et feu contre feu, si bien que l’édifice paraît en proie aux flammes ; mais le pouvoir surnaturel du Bienheureux parvient à dompter la rage du reptile, et son triomphe détermine à son tour, selon le Mahâvastou, la soumission de tous les anachorètes. Toutefois les textes pâli, à commencer par le Mahâvagga, estiment que pour achever de les subjuguer un autre miracle est encore nécessaire et — seconde surprise pour nous — ce prodige additionnel est parfaitement ignoré du Mahâvastou. Or donc, cette année encore, un orage hors saison se déchaîne sur le pays, amenant avec lui des pluies si torrentielles que la Naïrañjanâ déborde et inonde l’ermitage placé sur sa rive. Inquiet du sort de son hôte, le vieux Kâçyapa, dont il faut reconnaître que les mouvements répondent à de bons sentiments, se porte en barque à son secours ; mais il trouve le Bouddha en train de se promener paisiblement à pied sec au milieu des eaux déchaînées, affirmant ainsi de façon indiscutable la supériorité de ses pouvoirs surnaturels. Cette fois le brahmane se rend à l’évidence ; sa vieille perruque s’incline aux pieds du jeune tonsuré, et tous ses disciples suivent naturellement son exemple.

Il y a encore des millions de gens pour qui ces contes sont articles de foi. Pour nous, ce qui nous préoccupe en cette affaire est d’expliquer le désaccord que nous avons dû signaler entre les textes ; et ce qui peut nous intéresser, c’est de découvrir une fois de plus que cette explication nous est fournie par l’examen parallèle des monuments figurés[1]. Nous constatons en effet que l’école de l’Inde centrale et celle de l’Inde du Nord traitent également, de façon plus ou moins pittoresque, le motif du sanctuaire du feu. À Sâñchî comme au Gandhâra nous voyons les flammes jaillir de toutes les ouvertures de l’édifice, qui paraît embrasé, tandis que les vieux anachorètes restent frappés de stupeur et que les novices se précipitent avec des cruches pleines d’eau pour éteindre l’incendie ; mais il va de soi que c’est seulement sur les bas-reliefs gréco-bouddhiques et dans le récit du Mahâvastou que le Bouddha en personne présente par-dessus le marché aux brahmanes atterrés leur serpent docilement lové dans son bol-à-aumônes. En revanche c’est en vain que vous chercherez dans le répertoire gandhârien l’épisode de l’eau, et cela pour une raison aussi péremptoire que technique. Jamais en effet les artistes indo-grecs n’ont tenté de représenter un fleuve en sculpture. Ils ont donc dû renoncer à figurer aux yeux, entre autres prodiges, celui que provoque le dévergondage intempestif de la Naïrañjanâ, et dès lors il devient des plus vraisemblables que c’est à l’absence d’images de ce miracle qu’est dû l’oubli où il est tombé d’abord dans la tradition orale, puis dans la tradition écrite du Nord-Ouest. À la lacune de l’imagerie nordique correspond, en tout cas, le silence du Mahâvastou. Au contraire, ce n’était qu’un jeu pour

  1. V. MVA i 15-21 ; MVU III p. 424-432 ; ANS p. 292 s. ; NK p. 82-3 ; et cf. Sâñchi p. 210 et pl. 51-2 ; AgbG fig. 223, 226, 257 a, 434-5, 461.