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de favoritisme le Bienheureux aurait dû recourir pour sa défense à l’unique argument dont il disposât, lequel par bonne chance répond à tout et ne souffre pas de réplique : puisant dans le trésor de sa surnaturelle mémoire, il n’aurait eu qu’à rappeler les vies antérieures de tous les personnages en cause pour que l’incident fût vite clos.

La réaction populaire. — Il n’en reste pas moins que ces retentissantes conversions, obtenues coup sur coup, durent singulièrement rehausser dans l’estime du vulgaire le prestige de la secte nouvelle. L’exemple de tant de gens jouissant d’un si haut statut religieux ou social, et abjurant leur séculaire culture védique pour embrasser la doctrine diamétralement opposée d’un jeune çramane hier encore inconnu, ne pouvait qu’aider l’inlassable prédication de ce dernier à déterminer parmi la population mal aryanisée de la région orientale nombre de « sorties de la maison » ; et celles-ci, pour avoir fait moins de bruit dans le monde et pour destinées qu’elles soient à rester éternellement anonymes, n’en troublaient ou même n’en désorganisaient pas moins autant de familles dans toutes les classes de la société. Nous avons déjà dû faire allusion ci-dessus (p. 153) au mécontentement, après tout justifié, que provoqua parmi les habitants du Magadha l’épidémie de vocations religieuses ainsi propagée chez eux par le rejeton des Çâkyas. La tradition a gardé le souvenir de ce conflit, d’ailleurs fort anodin dans ses manifestations, grâce à deux stances mnémotechniques :

En ce temps-là beaucoup de jeunes gens de bonne famille du pays de Magadha embrassaient les uns après les autres la vie religieuse sous la direction du Bienheureux. Et les gens murmuraient, et ils se fâchaient, et ils se mettaient en colère : « Le çramane Gaoutama vise à apporter l’absence d’enfants, à apporter le veuvage, à apporter l’extinction des familles. Il vient d’ordonner moines les mille anachorètes, puis les deux cent cinquante religieux de Sañjaya, et voici que beaucoup de jeunes gens de bonne famille du pays de Magadha embrassent les uns après les autres la vie religieuse sous la direction du çramane Gaoutama ». Et quand les gens apercevaient les bhikshou, ils leur cherchaient querelle avec cette stance :

« Le grand çramane est venu
Dans la capitale du pays de Magadha ;
Il a converti tous les disciples de Sañjaya :
Qui aujourd’hui convertira-t-il ? »

Et les bhikshou entendaient ces gens qui murmuraient et se fâchaient et se mettaient en colère ; et ils firent part de ce fait au Bienheureux.

(Celui-ci leur dit) : « Ces rumeurs, ô moines mendiants, ne seront pas de longue durée ; elles dureront sept jours ; au bout de sept jours elles se dissiperont. Mais vous, si les gens vous cherchent ainsi querelle, ripostez-leur par cette autre stance :

Les grands héros, les Prédestinés,
Convertissent par la vraie Loi ;
Qui peut raisonnablement en vouloir
À ceux qui convertissent par la vraie Loi[1] ? »

Et que dire en effet ? Le Bouddha ne contraignait personne ;

  1. Nous ne donnons ici que le texte du MVA I 24, 5-6, le MVU ayant maladroitement mis la première stance dans la bouche même de Sañjayin.