Page:Foucher - La Vie du Bouddha, 1949.djvu/293

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du N.-N.-E. à travers les fécondes plaines du pays de Trabhoukti, aujourd’hui le Tirhout, nous rencontrons, à une trentaine de kilomètres de la rive gauche du grand fleuve, le vieux village de Basârh. Dans son voisinage immédiat, un grand quadrilatère terreux, entouré d’un large fossé et connu sous le nom de « Château du roi Visâl », marque la place de la « ville royale » de Vaïçâlî. Poussons encore trois kilomètres plus loin dans le Nord-Ouest[1], et nous atteindrons le but de notre excursion archéologique. Bien entendu nous avons emporté avec nous notre Hiuan-tsang, comme d’autres ailleurs ne se séparent pas de leur Pausanias ; et voici qu’en levant les yeux de dessus notre livre nous apercevons, toujours debout, la haute colonne monolithe, surmontée d’un lion, qu’il y a treize siècles le pèlerin a déjà vue et notée sur ses tablettes ; et voici tout à côté, au Nord, le grand stoupa dont il a également entendu attribuer l’édification à Açoka, et au Sud l’étang près duquel des singes auraient dévotement rempli de miel le vase-à-aumônes du Bienheureux. Or (le canon sanskrit nous l’atteste) « la salle du Belvédère dans le Grand-Bois », laquelle était le séjour favori du Maître près de Vaïçâlî, était située « au bord de l’Étang du singe (ou des singes) ». Et certes les arbres de la forêt sont aujourd’hui bien éclaircis ; les briques de l’édifice à étages ont été depuis longtemps réemployées ; et l’image du quadrumane érigée à l’angle Nord-Ouest de la pièce d’eau n’a pas trouvé grâce devant les iconoclastes musulmans : mais les traits essentiels du paysage, colonne, tumulus, étang sont toujours là sous nos yeux, à la place respective que leur a jadis assignée un observateur exact. Il n’y a donc pas de doute que nous ne foulions le site du miracle de Vaïçâlî : que grâces en soient rendues à notre excellent guide.

Un grand point est ainsi acquis : mais nombre de difficultés surgissent. Si, à notre habitude, nous nous tournons vers les textes pour obtenir d’eux de plus amples renseignements sur cette aumône simiesque, nous n’y découvrons qu’omissions ou, qui pis est, que contradictions. Le canon pâli ignore totalement l’épisode. Nos sources sanskrites connaissent et situent bien à Vaïçâlî « l’Étang-du-Singe », mais ne soufflent mot de l’incident qui lui a valu son nom. Fa-hien ne le mentionne même pas parmi les curiosités de Vaïçâlî. En revanche Hiuan-tsang renchérit sur l’offrande en faisant creuser l’étang par les singes et persiste à parler d’eux au pluriel. Il y a plus déconcertant : le grand pèlerin a déjà entendu conter à Mathourâ, à côté d’un grand étang desséché, exactement l’histoire que nous n’attendions qu’à Vaïçâlî ; et, pour comble, un texte tibétain bien connu localise de son côté l’incident à Çrâvastî[2]. Ce qui achève de nous égarer c’est que les traducteurs sont unanimes à vouloir que l’offrande en question ait été de « miel » : or il est hors de question qu’un singe puisse, même pour le meilleur des motifs, dérober du miel aux redoutables abeilles sauvages de l’Inde. Bref il nous faudrait renoncer

  1. Al. Cunningham, Anc. Geogr. of India p. 443 et ASI I p. 55 ; Ann. Rep. 1903-4 p. 81 s. ; 1913-4 p. 98 s..
  2. Hiuan-tsang J I p. 387 et 210 ; B II p. 68 et I p. 180 ; W II p. 65 et I p. 309 ; Leben p. 302 ; Schmidt Der Weise und der Thor ch. X. Le DhPC i 5b mêle la même histoire à celle de l’éléphant de Pârileyyaka (supra p. 265).