Page:Foucher - La Vie du Bouddha, 1949.djvu/294

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à sortir de ce brouillamini, si par bonne chance les monuments figurés ne venaient une fois de plus à notre secours et ne nous apportaient une aide aussi efficace que bienvenue.

Tout d’abord la représentation de l’Offrande du singe sur la Porte Nord du grand stoupa de Sâñchî prouve que cette singulière légende était populaire dans l’Inde centrale dès avant notre ère. Douze siècles plus tard, l’étiquette d’une miniature népâlaise, faisant écho au vieux cliché canonique, la situe encore « à Vaïçâlî en Tirabhoukti ». L’intervalle entre les deux documents est pas à pas jalonné d’abord par des bas-reliefs gréco-bouddhiques, puis à Bénarès par une stèle de style Goupta, enfin par des sculptures médiévales du Magadha[1]. Dès lors le « doublet » de Mathourâ se dénonce comme une contrefaçon, et l’assertion de l’auteur tibétain, à prendre les choses au mieux, comme un lapsus. Le silence de Fa-hien n’est plus imputable qu’à lui-même et ne peut nullement servir à prouver, comme on aurait pu être tenté de le croire, que le miracle avait été inventé et localisé à Vaïçâlî entre son passage et celui de Hiuan-tsang. Quant aux divagations de ce dernier, elles sont, comme nous allons voir, à mettre une fois de plus au compte de la sottise de ses informateurs. Non contentes d’attester l’ancienneté du motif, les images nous permettent en effet d’en restituer une version parfaitement cohérente, sinon tout à fait vraisemblable.

On sait l’instinct d’imitation des singes, et aucun touriste n’ignore à quel point ceux qui vivent en liberté dans l’enceinte des sanctuaires de l’Inde se montrent familiers, pour ne pas dire effrontés. Même les sculpteurs du Nord-Ouest s’amusent à figurer tel de ces animaux qui, assis en yogui (ou, comme nous dirions, en tailleur), copie l’attitude du Bouddha en méditation ; car « à vivre dans le voisinage des saints, on devient saint[2] ». Le héros du Prodige de Vaïçâlî fait mieux encore, et grâce aux imagiers, aucun détail de son manège ne nous échappe. Pour commencer nous le voyons en train de grimper à un palmier. Ce qu’il va chercher là-haut, c’est bien du madhou : mais ce madhou n’est pas du miel, c’est la liqueur sucrée qui exsude de la cime incisée des palmiers-éventails et des dattiers et qui s’égoutte dans des pots de terre disposés à cette intention. Des gens de basse caste font toujours métier d’aller recueillir matin et soir le contenu de ces pots dont ils tirent, après fermentation, le breuvage alcoolique qu’en anglo-indien on appelle le toddy[3]. L’alcool est tout naturellement interdit aux moines, comme d’ailleurs aux laïques ; mais il leur est à tous loisible (et de plus agréable) de boire frais ce jus de palme, après qu’on en a ôté les mouches qui ne manquent pas de s’y engluer. Notre singe, on le voit, sait fort bien ce qu’il fait. Il n’entreprend rien qui ne soit dans ses moyens d’agile grimpeur et ne présente d’autre offrande que celle dont il est sûr qu’elle est acceptable et sera gracieusement acceptée. Il ne lui reste plus ensuite qu’à saluer le Bouddha et à se retirer, ce

  1. Sâñchî pl. 26 ; AgbG fig. 244, 498, 500 ; Icon. bouddh. I p. 168 et pl. VII 1 et X 4 et II p. 114.
  2. Jât. no 175 (où d’ailleurs le saint n’est qu’un hypocrite) et cf. AgbG fig. 246.
  3. Hindi tâṛî tirée du tâṛ (skt tâla, borassus flabellifera) ; cf. Patimokkha no 51 et MVA VI, 35-6.