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Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/121

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condamnation de la justice

tage cette justice déjà si pervertie ? Nietzsche va y réussir en la présentant comme une belle application de sa doctrine du « droit des maîtres ». La satisfaction de « maître » accordée au créancier en compensation de sa perte, c’est cette joie supérieure qui consistée « exercer en toute sécurité sa puissance sur un être réduit à l’impuissance », c’est « la volupté de faire le mal pour le plaisir de le faire (Nietzsche souligne lui-même ces mots), c’est enfin « la jouissance de tyranniser ». Et cette jouissance, à l’en croire, est d’autant plus vive que, sur l’échelle sociale, le rang du créancier est plus bas, que sa condition est plus humble ; car alors le sentiment de supériorité sera plus grand chez le créancier, le morceau de chair « lui paraîtra plus savoureux et lui donnera l’avant-goût d’un rang social plus élevé ». Grâce au châtiment infligé au débiteur, le créancier « prend part au droit des maîtres » ; il finit enfin, lui aussi, « par goûter le sentiment, anoblissant de pouvoir mépriser et maltraiter un être comme quelque chose qui est au-dessous de lui ». Est-ce l’avant-goût du Surhomme ? « La compensation consiste donc en une assignation et un droit à la cruauté. » — C’est ainsi qu’un lieu commun de l’histoire du droit aboutit, dans un cerveau dévoyé, à une sorte de sadisme juridique et philosophique. « Voir souffrir fait du bien, faire souffrir plus de bien encore, — voilà, dit-il, une vérité, mais une vieille et puissante vérité capitale, humaine, trop humaine. »

C’est, à en croire Nietzsche, dans cette sphère même du droit de compensation et de cruauté que « le monde des concepts moraux, faute, conscience, devoir, sainteté du devoir, a son foyer d’origine ; à ses débuts, comme tout ce qui est grand sur la terre, il a été longuement et abondamment arrosé de sang ». Jusque chez le vieux Kant, « l’impératif catégorique a un relent de cruauté ». Quand il écrivit ces pages dans sa Généalogie de la morale, Nietzsche avait lu et annoté celles de Guyau sur la Morale sans obligation ni sanction ; il avait lu l’analyse de Guyau qui ramène la sanction à l’expiation, l’expiation