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Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/134

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nietzsche et l’immoralisme

    J’aime tout ce qui est propre ; mais je ne puis voir les gueules grimaçantes et la soif des gens impurs. Ils ont jeté leur regard au fond du puits ; maintenant leur sourire odieux se reflète au
fond du puits et me regarde.
    La flamme s’indigne lorsqu’ils mettent au feu leurs cœurs humides ; l’esprit lui-même bouillonne et fume quand la canaille s’approche du feu.
    Le fruit devient douceâtre et blet dans leurs mains, leur regard évente et dessèche l’arbre fruitier.
    Et plus d’un, qui se retira dans le désert pour y souffrir la soif avec les bêtes sauvages, voulait seulement ne point s’asseoir autour de la citerne en compagnie de chameliers malpropres.


Nietzsche oublie que la « canaille » est précisément le vaste champ de sélection où s’opère le triage, tandis que toute caste étroite et fermée est vouée à l’abâtardissement final. Tout ce faux darwinisme aristocratique, tout ce renanisme exaspéré et sans « nuances » mériterait à peine une mention sans le rayonnement de poésie qui, dans la tête ardente de Nietzsche, transfigure les idées les plus banales. Si l’esprit de troupeau existe dans les démocraties, n’existe-t-il donc point aussi dans les aristocraties ? La caste n’est-elle pas elle-même un troupeau ? Le mépris de la démocratie, c’est le mépris du peuple ; le mépris du peuple, c’est le mépris de l’humanité ! Et j’ajoute que le mépris de l’humanité, c’est le mépris de soi-même.

Dans notre temps, selon Nietzsche, domine une aversion pour tout ce qui commande et veut commander. Nous assistons à une espèce l’idiosyncrasie des démocrates, « le misarchisme moderne » (à chose barbare, nom barbare) s’est spiritualisé peu à peu jusqu’à s’infiltrer goutte à goutte jusque dans les sciences les plus exactes et, en apparence, les plus objectives ; il semble qu’il se soit déjà rendu maître de toute la physiologie et de la biologie, et cela à leur détriment, est-il besoin de le dire ? en ce sens qu’on en a banni un concept qui, pour elles, est fondamental : celui d’activité.