Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/135

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
111
morale des maîtres et morale des esclaves


Voyez plutôt les Darwin et les Spencer Ils ont introduit, en quelque sorte, l’esprit démocratique dans la science naturelle, puisqu’ils en ont chassé toute initiative véritable, toute action propre, pour ne voir partout que des réactions, toute adaptation du milieu à soi pour ne voir partout que l’adaptation de soi au milieu, la dépendance servile par rapport à l’entourage ; ils ont généralisé dans l’univers la morale des esclaves ; ils ont détint la vie même une adaptation et un asservissement, au lieu d’y voir l’inextinguible soif de commandement, de domination et de toute-puissance. Telle conception de l’univers, telle conception de la société et de l’homme. Adaptez-vous, nous dit-on sans cesse, pliez-vous, réagissez proportionnellement à l’action du dehors, disparaissez an profit du milieu, absorbez-vous dans le tout, voilà la leçon de passivité et de lâcheté que, selon Nietzsche, l’école anglaise nous donne. De la lutte même, de ce combat Héraclite proclamait le père de toutes choses, on fait une simple lutte pour l’existence, alors que les êtres luttent, en vérité, pour la puissance, pour la supériorité, pour la domination, non pas pour l’être, pas même pour le mieux-être, mais pour le plus-être, pour être tout et avons tout ! Pas plus dans la nature que dans l’humanité le véritable idéal n’est démocratie, il est aristocratie, il est même monarchie, il est tyrannie : chacun voudrait dire : L’univers, c’est moi ! — Voulez-vous le vrai type de l’homme, animal de rapine et de proie, ce n’est pas même Louis XIV, c’est ce prodigieux mélange d’inhumain et de surhumain qui fut Napoléon.

De nos jours, on jouit ou on veut jouir d’une liberté dont la seule idée est déjà un symptôme de décadence. Personne ne réfléchit que les peuples qui ont acquis une valeur quelconque ne l’ont jamais acquise par le moyen d’institutions libérales.

Une des manifestations de l’esprit démocratique, s’il faut en croire Nietzsche, c’est le culte pour la science. Ce culte vient de ce que la science apparaît et comme