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morale des maîtres et morale des esclaves

comme si ce respect n’avait jamais été autre chose qu’un bizarre produit de la vanité humaine.[1] »

L’État est pour Nietzsche « un chien hypocrite », un chien de feu qui lance flamme et fumée, et qui parle en hurlements, « pour faire croire qu’il parle des entrailles des choses »[2] . L’État contractuel, surtout, semble à Nietzsche une chimère :

    La société humaine est une tentative, voilà ce que j’enseigne, une longue recherche ; mais elle cherche celui qui commande.
    Une tentative, mes frères, et non un contrat ! Brise,
brise-moi de telles paroles des cœurs lâches et des demi-mesures[3] !


L’Allemagne ayant divinisé l’idée de l’État, comment s’étonner que les Stirner et les Nietzsche, se dressant contre Hegel et contre son État-Dieu, aient voulu renverser la « nouvelle idole » ? Il y a encore quelque part dans le monde, dit Zarathoustra, des peuples et des troupeaux, avec des chefs et des conducteurs de peuples ; mais chez nous, dans notre Europe, il n’y a plus que des États, qui ont pris la place des peuples eux-mêmes et qui ont substitué à la vie réelle la tyrannie des abstractions.

    État ? Qu’est-ce, cela ? Allons, ouvrez les oreilles, je vais vous parler de la mort des peuples.
    L’État, c’est le plus froid des monstres froids. Il ment aussi froidement, et voici le mensonge qui rampe de sa bouche : — Moi, l’État, je suis le peuple.
    C’est un mensonge ! Ils étaient des créateurs, ceux qui créèrent les peuples et qui suspendirent au-dessus d’eux une foi et un amour : ainsi ils servaient la vie. —
    Ce sont des destructeurs, ceux qui placent des pièges pour le grand nombre et qui appellent cela un État : Ils suspendent au-dessus d’eux un glaive et cent appétits[4].


Pour Nietzsche, l’État est une dérogation aux vieilles

  1. Généalogie de la morale, p. 175.
  2. Zarathoustra, tr. fr., p. 300.
  3. Ibid.
  4. Ibid.