Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/138

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
114
nietzsche et l’immoralisme

« coutumes » qui régnaient parmi les peuples. Chaque peuple avait « sa langue du bien et du mal », qu’il s’était inventée à l’usage de ses coutumes et de ses lois propres. Son voisin ne comprenait pas cette langue, parce qu’elle était vraiment celle d’un peuple. L’État, au contraire, prétend reposer sur des lois universelles, abstraites, humaines, non plus allemandes ou françaises. Il ment « dans toutes ses langues du bien et du mal ; et dans tout ce qu’il dit, il ment, et tout ce qu’il a, il l’a volé. Tout en lui est faux : il mord avec des dents volées, le hargneux ! Fausses sont même ses entrailles ». Zarathoustra songe sans doute aux principes du libéralisme anglais ou aux principes de 1789, que tous les États ont empruntés, que l’Allemagne même a introduits dans son sein. C’est « la confusion des langues du bien et du mal ». L’État n’est que la subordination forcée du peuple, dans l’intérêt des « superflus », des parasites, des faibles et ratés, qui devraient disparaître si l’État ne les protégeait de ses lois et ne leur communiquait une vie artificielle.

    Beaucoup trop d’hommes sont mis au monde : l’État a été inventé pour ceux qui sont superflus !
    Voyez donc comme il les attire, les superflus ! Comme il les enlace, comme il les mâche et les remâche.
    « Sur la terre, il n’y a rien de plus grand que moi : je suis le doigt ordonnateur de Dieu » ; ainsi hurle le monstre. Et ce ne sont pas seulement ceux qui ont de longues oreilles et des yeux courts qui tombent à genoux.


Les grandes âmes elles-mêmes se laissent prendre aux sombres mensonges ; les cœurs riches se donnent à la nouvelle idole ; elle place autour d’elle des hommes honorables et des héros ; elle achète, au prix des honneurs et des dignités, l’éclat de leur vertu et le fier regard de leurs yeux. Grâce à cette escorte, elle attire à elle la foule des superflus, des médiocres et des vulgaires, la populace, en un mot, qui finit par se faire adorer elle-même sous le nom de l’État.