Voyez donc ces superflus ! Ils volent les œuvres des inventeurs et les trésors des sages ; ils appellent leur vol civilisation, et tout leur devient maladie et revers !
Voyez donc ces superflus ! Ils sont toujours malades, ils rendent leur bile et ils appellent cela des journaux. Ils se dévorent et ne peuvent pas même se digérer.
Voyez donc ces superflus ! Ils acquièrent des richesses et en deviennent plus pauvres. Ils veulent la puissance et tout d’abord le levier de la puissance, beaucoup d’argent, ces impuissants !
Voyez-les grimper, ces singes agiles ! Ils grimpent les uns sur les autres et s’attirent ainsi dans la boue et l’abîme.
Ils veulent tous s’approcher du trône : c’est leur folie, comme si le bonheur était sur le trône ! Souvent la boue est sur le trône, et souvent aussi le trône est dans la boue.
L’État n’est plus la vraie patrie des âmes supérieures.
Heureusement, il y a encore dans le monde des places
libres pour les âmes libres. Pour les grandes âmes,
pour les âmes solitaires, il y a encore des déserts où
souffle l’odeur des mers silencieuses.
Là bas, où finit l’État, commence seulement l’homme qui n’est
pas superflu ; là commence le chant de ceux qui sont nécessaires,
la mélodie unique et indispensable.
Là bas, où finit l’État, regardez donc, mes frères ! Ne
voyez-vous pas l’arc-en-ciel et le pont du Surhomme ?
Ainsi parlait Zarathoustra[1].
Le Surhomme, lui, avec ses pareils, redeviendra un jour le pasteur des peuples ; il n’y aura plus d’État, il y aura des troupeaux conduits par un chef, comme au temps des Moïse ou des Agamemnon, ou plutôt comme au temps des castes hindoues.
Aujourd’hui, au contraire, la démocratie est l’obstacle
à tout progrès vers le Surhomme.
Le monde tourne autour des inventeurs de valeurs nouvelles : il tourne invisiblement. Mais, autour des comédiens, se tournent le peuple et la gloire : ainsi va le monde.
- ↑ P. 62 et suiv.