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Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/154

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nietzsche et l’immoralisme


Démocratie, socialisme, anarchie sont eux-mêmes, selon Nietzsche, un reflet, un écho lointain du mensonge religieux qui a détruit l’empire romain. Tout cela est, à ses yeux, un même « mensonge ». Le mensonge, d’ailleurs, peut être une bonne chose, mais, dit-il, il faut considérer pour quel but on ment : « il est bien différent si c’est pour conserver ou pour détruire. Or, on peut mettre complètement en parallèle le chrétien et l’anarchiste : leurs buts, leurs instincts ne sont que destructeurs. L’histoire démontre cette affirmation avec une précision épouvantable. Ce qui existait aere perennius, l’Empire romain, la plus grandiose forme d’organisation, sous des conditions difficiles, qui ait jamais été atteinte, tellement grandiose que, comparé à elle, tout ce qui l’a précédée et tout ce qui l’a suivie n’a été que dilettantisme, chose imparfaite et gâchée, — ces saints anarchistes se sont fait une pitié de détruire le monde, c’est-à-dire l’Empire romain, jusqu’à ce qu’il n’en restât plus pierre sur pierre, — jusqu’à ce que les Germains mêmes et d’autres lourdauds aient pu s’en rendre maîtres… Le chrétien et l’anarchiste sont décadents tous deux, tous deux incapables d’agir autrement que d’une façon dissolvante, venimeuse, étiolante ; partout ils épuisent le sang, ils ont tous deux, par instinct, une haine à mort contre tout ce qui existe, tout ce qui est grand, tout ce qui a de la durée, tout ce qui promet de l’avenir à la vie… Le christianisme a été le vampire de l’Empire romain, — il a mis à néant, en une seule nuit, cette action énorme des Romains : avoir gagné un terrain pour une grande culture qui a le temps. — Ne comprend-on toujours pas ? L’Empire romain que nous connaissons, que l’histoire de la province romaine enseigne toujours davantage à connaître, cette admirable œuvre d’art de grand style, était un commencement ; son édifice était calculé pour être démontré par des milliers d’années, — jamais jusqu’à nos jours on n’a construit de cette façon, jamais on n’a même rêvé de construire,