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morale des maîtres et morale des esclaves

une égale mesure, sub specie æterni ! — Cette organisation était assez forte pour supporter de mauvais empereurs : le hasard des personnes ne doit rien avoir à voir en de pareilles choses — premier principe de toute grande architecture. Pourtant elle n’a pas été assez forte contre l’espèce la plus corrompue des corruptions, contre le chrétien… Qu’on lise Lucrèce pour comprendre ce à quoi Épicure a fait la guerre ; ce n’était point le paganisme, mais le « christianisme », je veux dire la corruption de l’âme par l’idée du péché, de la pénitence et de l’immortalité. — Il combattit les cultes souterrains, tout le christianisme latent : — en ce temps-là nier l’immortalité était déjà une véritable rédemption. — Et Épicure eût été victorieux, tout esprit respectable de l’Empire romain était épicurien ; alors parut saint Paul, saint Paul, la haine de Tchândâla contre Rome, contre le « monde » devenu chair, devenu génie, saint Paul le juif, le juif errant par excellence[1]. Ce qu’il devina, c’était la façon d’allumer un incendie universel avec l’aide du petit mouvement sectaire des chrétiens, à l’écart du judaïsme ; comment, à l’aide du symbole « Dieu sur la Croix » on pourrait réunir en une puissance énorme tout ce qui était bas et secrètement insurgé, tout l’héritage des menées anarchistes de l’Empire : Le salut vient par les Juifs. Faire du christianisme une formule pour surenchérir les cultes souterrains de toutes les espèces, ceux d’Osiris, de la grande Mère, de Mithras par exemple — une formule pour les résumer, — cette pénétration fait le génie de saint Paul. Son instinct y était si sûr qu’avec un despotisme sans ménagement pour la vérité il mit dans la bouche de ce « sauveur » de son invention les représentations dont se servaient, pour fasciner, ces religions de Tchândâla, et non seulement dans la bouche : — Il fit de son sauveur quelque chose qu’un prêtre de Mithras, lui aussi, pouvait comprendre… Ceci fut son

  1. Par excellence : en français dans le texte.