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nietzsche et l’immoralisme

chemin de Damas : il comprit qu’il avait besoin de la foi en l’immortalité pour déprécier « le monde », que l’idée d’ « enfer » pouvait devenir maîtresse de Rome, — qu’avec l’au-delà on tue la vie. — Nihiliste et chrétien : les deux choses s’accordent…[1] »

Nietzsche a pourtant lui-même, comme les nihilistes et anarchistes, supprimé toute morale, tout impératif catégorique, toute loi intérieure autre que la volonté même de puissance. — Oui, répondra-t-il, mais on ne supprime pas pour cela toute autorité, « toute tyrannie contre la nature et même contre la raison, « si ce n’est que l’on veuille décréter soi-même, de par une autre morale quelconque, que toute espèce de tyrannie et de déraison sont interdites ». Ces anarchistes « qui se prétendent libres, libres penseurs même », reprend Nietzsche avec ironie, veulent rejeter la « soumission à des lois arbitraires » ; et ils ne voient pas que, pour n’être nullement morales, les lois et la contrainte n’en sont pas moins tout l’opposé d’arbitraires. « C’est, au contraire, un fait singulier que tout ce qu’il y a, ou tout ce qu’il y avait, sur terre, de liberté, de finesse, de hardiesse, de légèreté, de sûreté magistrale, que ce soit dans la pensée, ou dans la façon de gouverner, dans la manière de dire ou de persuader, dans les arts comme dans les mœurs, ne s’est développé que grâce à la tyrannie de ces lois arbitraires ; et, sérieusement, il est très probable que c’est précisément cela qui est nature et naturel, — et nullement ce laisser-aller ![2] » Nietzsche avait dit plus haut le contraire dans ses déclamations contre le christianisme ; mais n’importe. En artiste qu’il est, il prend un exemple dans l’art : il examine comment on y arrive au naturel. Tout artiste, dit-il, sait que son naturel ou, si vous voulez, son état naturel se trouve bien loin du sentiment de laisser-aller, de négligence et, pourrait-on dire,

  1. L’Antéchrist, p. 80.
  2. Par delà le Bien et le Mal, 189.